SÉRIE / Une forêt à connaître !
Tous reconnaissent l’importance du secteur forestier dans l’économie. L’aménagement durable, l’environnement et la biodiversité sont autant de sujets abordés à l’automne dans cette série d’articles du Groupe Capitales Médias : « Une forêt à connaître ». Mais que sait-on des nouvelles technologies qui permettent de produire davantage, tout en utilisant moins d’arbres ? Des innovations visant à optimiser la ressource ? De la contribution du milieu forestier à la lutte contre les changements climatiques ? Des spécialistes et des acteurs de l’industrie ont beaucoup à partager afin de mieux faire connaître la forêt, qui représente presque la moitié de la superficie totale du Québec.
Johanne Fournier
Collaboration spéciale, Le Devoir 25 janvier 2019
MATANE — Au cours des dernières décennies et encore davantage depuis sa sortie de crise en 2014, l’industrie forestière a réalisé un virage technologique important. Les investissements massifs dans le secteur forestier ont été salutaires pour la reprise de ce secteur économique. Les nouvelles technologies augmentent la productivité, tout en utilisant moins d’arbres.
« Il y a eu énormément d’investissements avec la reprise », confirme le directeur d’Unifor pour le Québec, dont l’entreprise représente 80 % des travailleurs de la forêt. Selon Renaud Gagné, chaque scierie a investi, en moyenne, de 10 à 12 millions dans la modernisation.
Les entreprises ont investi dans des équipements visant à améliorer les opérations. « La technologie fait en sorte qu’on améliore la qualité, souligne M. Gagné.
On sort le maximum de profit d’une planche ou d’un arbre. »
« Si on prend une bille de bois qui rentre dans une scierie, il y avait toujours des marges d’erreur, fait savoir le président de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM-CSN), Louis Bégin. Pour que les bouts des planches […] soient carrés et droits, on mesurait une perte de 20 à 25 %. Maintenant, les nouvelles technologies nous permettent de supprimer ce pourcentage de perte. On fait beaucoup plus avec le même nombre de cubes de bois récolté.»
Le conseiller syndical de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) du Saguenay–Lac-Saint-Jean abonde dans le même sens. « En forêt, on récupère presque 100 % de la cueillette du bois, remarque Joël Tremblay. En usine, on est capable d’aller chercher le maximum de fibre qui s’en va vers les deuxième et troisième transformations. Le produit est beaucoup plus utilisé. »
Selon le patron d’Unifor, le contexte a aussi facilité les décisions d’investir puisqu’en 2015, 2016 et 2017, la construction résidentielle aux États-Unis a grimpé de 1 million à 1,5 million de mises en chantier, au lieu des 450 000 des années précédentes.
Dans l’éventualité d’un creux de cycle qui pourrait survenir dans la construction, « les investissements dans la technologie permettront de développer de nouveaux produits qui iront dans de nouveaux marchés », croit le président de la FIM.
Plus de technologies, moins d’accidents et de maladies professionnelles
MATANE — L’apparition des nouvelles technologies en forêt et dans les scieries a diminué les risques d’accidents et de maladies professionnelles. Si le travail forestier a longtemps occupé le haut du palmarès des métiers les plus à risques, il est aujourd’hui plus sécuritaire.
Prévibois y contribue. La mission de l’organisme à but non lucratif est de soutenir quelque 500 entreprises québécoises en matière de santé et de sécurité au travail. Celles-ci œuvrent dans la transformation du bois, dans la forêt, ainsi que dans les pâtes et papiers. « La forêt a évolué au fil du temps, tout comme les usines sur le plan technologique, constate le conseiller en prévention Frédérick Villeneuve. La santé et la sécurité ont cheminé à travers ça. » « Dans les vingt dernières années, notre travail a eu un impact : il y a moins d’accidents, moins de lésions, moins de gravité par rapport aux lésions, moins de fréquences », ajoute le directeur de la prévention de l’organisme, Pascal Rousseau.
Au cours des deux dernières décennies, la technologie a évolué très rapidement. Dans le domaine forestier, on est passé de travaux majoritairement manuels à des tâches mécanisées. De nouvelles normes en matière de santé et de sécurité se sont ajoutées. Ne répondant parfois pas aux mêmes normes, les machines provenant de l’Europe doivent être adaptées et modifiées.
Comme les machines sont plus productives, les risques ont changé. « Au lieu d’avoir le risque qu’un arbre tombe sur un travailleur ou d’avoir des engelures en forêt, ce sont maintenant des problèmes ergonomiques ; les gens manipulent des consoles, ils sont beaucoup sollicités des mains, fait observer M. Rousseau. On leur fournit des ressources pour pouvoir améliorer les postes de conduite. »
Le bruit n’a cependant pas été complètement éliminé, surtout dans les scieries de plus de trente ans. « Ça prend des protections, signale Pascal Rousseau. On essaie d’encoffrer les machines. Dans les usines les plus récentes, les gens opèrent à partir de cabines insonorisées. La surdité va diminuer avec
le temps. »
Dans les usines de pâtes et papiers, les risques de blessures ou de maladies professionnelles sont aussi en diminution. « Les gens étaient à 95 décibels toute la journée, à la chaleur, raconte le directeur de la prévention de Prévibois. Aujourd’hui, ils opèrent d’une salle climatisée toute vitrée et ils sortent à peu près dix minutes à l’heure. »
Amélioration des procédés et optimisation :des impacts positifs sur la main-d’œuvre forestière
MATANE — Loin d’avoir causé des pertes d’emplois, l’amélioration des procédés et l’optimisation du travail générées par l’avènement des nouvelles technologies dans le secteur forestier les ont plutôt consolidé. Les travailleurs ont dû s’adapter à la nouvelle machinerie et leurs tâches ont changé. La majorité des entreprises forestières qui ont pris le virage technologique font même face à un criant besoin de main-d’œuvre..
« Les nouvelles technologies permettent une consolidation des emplois, confirme le président de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM-CSN), Louis Bégin. En forêt et surtout dans les scieries, ça se développe ; on parle même de la robotique qui s’invite dans la forêt pour la gestion de la cueillette de la matière première. C’est un autre monde ! »
L’incidence sur les emplois s’est surtout fait sentir sur la nature des postes. « Une ancienne machine qui coupait et préparait le bois […] avait auparavant sept opérateurs, donne comme exemple M. Bégin. La nouvelle machine va avoir un ou deux opérateurs. Par contre, ça va demander un autre type d’emploi : des électromécaniciens ou des mécaniciens spécialisés. »
Le conseiller syndical de la CSD du Lac-Saint-Jean constate le même phénomène. L’introduction de nouveaux équipements plus performants a un impact sur les types d’emplois. « Ça a créé un mouvement de personnel bien plus qu’une rareté ou des pertes d’emplois », analyse Joël Tremblay.
La formation devient incontournable afin de développer de nouvelles compétences auprès des travailleurs. Certaines organisations comme Formabois offrent des programmes visant à rendre le secteur de la transformation du bois plus compétitif en fonction des avancées technologiques. « C’est une nécessité, sinon une question de survie pour l’entreprise », va jusqu’à dire le directeur général de Formabois, Réjean St-Arnaud.
Le directeur d’Unifor pour le Québec se souvient, il y a trente ans passés, qu’une scierie pouvait avoir besoin d’une centaine d’ouvriers. « Aujourd’hui, elle s’opère avec une dizaine de personnes par quart de travail », indique Renaud Gagné. En revanche, si certaines technologies réduisent la charge de travail, elles n’éliminent pas pour autant des emplois. Au contraire, Unifor fait face à une pénurie de travailleurs.
La transformation du bois au Québec en chiffres
30 000 emplois
11% des exportations
3% du PIB
2 milliards $ de balance commerciale positive